BÉART EN PUBLIC
36 chansons immortelles et actuelles

Aussi incroyable que cela puisse paraître, ce double CD est le seul enregistrement de Guy Béart disponible à l'heure actuelle dans le commerce (depuis 1999 !)
Putain ! Mais jusqu'à quand laisserons-nous les « commerciaux » des maisons de disques faire ainsi joujou avec notre culture ?

De quel droit ces gens-là décident-ils que – sauf à ressortir nos vieux vinyles – nous ne pouvons plus écouter Hôtel-Dieu, Bal chez Temporel ou L'eau vive ? « Le premier qui dit la vérité / Il doit être exécuté », dit une vieille chanson de Béart, qui n'a rien perdu de son actualité et, de fait, l'auteur de L'espérance folle a fini par payer très cher le fait d'avoir été le premier à tourner ouvertement le dos au show-business, au début des années 60, pour créer Temporel : la première structure d'auto-production discographique, c'est-à-dire le premier label indépendant fonctionnant en marge de tout critère non artistique. Le crime de lèse-pognon est de ceux qui ne se pardonnent jamais... ceci expliquant cela.

Mais qu'importe ! Aujourd'hui – plus de trente ans après... et en dépit de toutes les difficultés, du silence organisé, des modes qui changent et de la maladie qui s'en mêle – Temporel existe toujours, Guy Béart tient une forme du tonnerre et le public en redemande de bon cœur, en chantant avec un bel entrain. Inouïe, par exemple, cette version de L'eau vive où le chanteur, sans aucune introduction musicale, se contente de dire Ma...laissant la salle entière enchaîner …petite est comme l'eau... et la suite ! Impressionnant, également, de constater le nombre de chansons que le public connaît toujours par cœur.

La formule musicale est épurée à l'extrême : deux guitares, en plus de celle de Guy Béart (tenues par Jacky Tricoire et Patrick Ladoucette), une contrebasse (Alphonse Masselier) et Thierry Roques qui se partage entre accordéon et claviers. Ici, le mot accompagnement prend – vraiment – tout son sens et les arrangements sont de véritables mises en valeur (des mélodies, des textes et de la voix) qui n'empiètent jamais sur l'espace vital du chant, mais le portent en avant.

À (ré)écouter ainsi ces trente-six chansons, ces trente-six chandelles éclairant près de quarante années de notre fin de siècle impitoyable, frivole, arrogante et confuse, on est surpris par la lucidité souvent prémonitoire de l'auteur de Demain, je recommence. Une lucidité prenant à rebrousse-poil la plupart des conformismes d'une époque qui, sous prétexte qu'elle en change souvent, se donne l'illusion de se remettre sans cesse en question. Triste leurre que ce modernisme de pacotille, aux yeux de celui qui, à force d'avoir si souvent raison avant tout le monde, s'est fait un bon paquet de solides ennemis et – paradoxe – une tenace réputation de ringard. Chacun se souvient d'une certaine émission de télévision pendant laquelle Gainsbourg ne le lui avait pas envoyé dire... mais l'objectivité la plus élémentaire oblige à reconnaître que, là encore, c'est bel et bien Guy Béart qui avait raison... en dépit de toute la démagogie entretenue autour du vieux gourou fumeur de Gitanes.

Quoi qu'en pensent les grincheux, les chansons de Béart n'ont jamais été politiquement correctes ; mais – on s'en rend bien compte à l'écoute de ce disque plein de verve et de vie – elles ne cessent de rendre justice à cet homme sans doctrine que passionne tout ce qui se passe dans le monde, et qui, finalement, doit être fichtrement dérangeant pour avoir accumulé tant d'hostilité sur son nom... Tant de fidélités, aussi !

Marc Robine (Chorus n° 27 - mars 1999)