Guy Béart et les enfants libres

 

La guerre ne cesse de peser. Les cicatrices de la tragédie sont partout. Dans les couloirs frais de l'Hôtel-Dieu, successivement occupé, incendié, pillé, partiellement détruit, dans les décombres du palais présidentiel de Baabda, dans la boue noire de Dora, dans la poussière de la place des Martyrs, coeur d'une ville pétrifiée...

Les balles des francs-tireurs, plusieurs fois, ont sifflé à ses oreilles. Il les entendait à peine. Elles tuent pourtant, chaque jour. Guy Béart était parti de Paris avec la cassette d'une chanson composée pour la circonstance « Liban libre, libre Liban ». À peine sorti de l'hélicoptère, il réclamait une guitare, électro-acoustique, et un choeur d'enfants. Où se croyait-il donc? Mais le troubadour était inspiré. Et son énergie faisait des miracles. Il apprenait à tous les enfants rencontrés son refrain. Il réussissait le tour de force de chanter place des Martyrs, puis sur les marmites calcinées de Dora. Sous le soleil de midi, sa pauvre silhouette, accrochée à sa guitare, en imposait à tous. Le soir même, Beyrouth commençait à fredonner le refrain que le chanteur avait apporté dans ses valises « Liban libre, Libre Liban ».

Un jour ou l'autre, sans doute, comme dit la chanson.

Daniel Rondeau Extrait de Ballade pour un « libre Liban » (Nouvel Observateur du 18 mai 1989)

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Il nous bouleversa, dans cette parcelle de Beyrouth assiégé, ce Liban libre, libre Liban, d'abord chanté par Guy Béart seul dans les ruines de la place des Martyrs où claquaient quelques balles perdues; puis au milieu d'un désert de pierres et de poutrelles, en un français très pur, et d'un cœur plus pur encore, par de jeunes Libanais merveilleux.
Beauté, simplicité d'une chanson inspirée. Moment historique, peut-être, où grâce à un poète et à ses jeunes interprètes, s'annonçait, dans ses ténèbres actuelles, le libre Liban multi-confessionnel et réconcilié de demain, rendu à la paix et à la démocratie.

Claude Mauriac


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Par sa chanson d'espérance, belle, profonde, émouvante « Liban libre, libre Liban », Guy Béart est devenu Ambassadeur du Pays des Cèdres : émissaire de la paix et vrai porteur de son message de civilisation et d'amour.

Fouad El Turk, Ambassadeur du Liban en France

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Guy Béart, votre chanson est comme un présage de bonheur. La désolation de Beyrouth 1989 ne vous a pas inspiré un requiem mais un chant d'espoir. Enfant, vous l'avez vu naître ce Liban libre, un matin chantant de novembre 1983. Votre nostalgie des jours heureux a triomphé. L'arc-en-ciel reviendra et le Liban renaîtra.

Alia El-Solh
(Écrivain, fille de Riad El-Solh, premier ministre en 1943, artisan de l'indépendance de la République Libanaise)

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À Beyrouth, place des Martyrs (des canons), le 13 mai 1989

Guy,
Ce matin, vous étiez seul sur la place des Canons. La balle d'un franc-tireur est passée, vous avez repris « Liban Libre ».
Cet après-midi, à Dora, ils étaient trente enfants pour chanter avec vous « Libres Enfants ». Ce soir, nous sommes rentrés à l'hôtel, fourbus mais Libanais - le hall était plein, tous fredonnaient « Libres à Beyrouth ».

Cette chanson d'amour est la plus libre de vos chansons.

Frédérique DENIAU (Coordination Nationale pour le Liban)

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Au centre de la ville, sur la ligne de démarcation entre Beyrouth-Est et Beyrouth-Ouest, la célèbre place des Canons n'est plus qu'une ruine depuis longtemps.
Au milieu de l'herbe qui déjà repousse entre les ruines, Guy Béart, appuyé à la carcasse informe d'une auto bombardée a chanté sa chanson Liban libre, libre Liban

Et tous les martyrs
Chrétiens musulmans
Avant de partir
Ont crié ce chant.

Il l'a chantée encore dans les ruines de Dora. Il était entouré de tout un groupe d'enfants et de jeunes gens qui chantaient avec lui. Et parmi ces jeunes gens, il y avait, je les ai vus et entendus, j'y étais, je leur ai parlé, des musulmans et des chrétiens...
Dans ces décors hallucinants de béton écrasé et de ferrailles tordues, tout le monde pleurait. De temps en temps, un coup de feu claquait. Ce n'était rien. Des francs-tireurs. La paix était revenue. Pour combien de temps? Par une ironique hypocrisie, le cessez-le-feu était terrestre.
C'est-à-dire que le blocus qui prive de ravitaillement et d'essence et de toutes les ressources les plus élémentaires une population civile d'un courage exemplaire, continuait de plus belle. Au milieu des ruines où elle chantait, elle aussi', une jeune fille me disait : « Il ne faut pas trop nous salir: nous n'avons pas d'eau pour nous laver. ».
Au matin même de ce jour de paix, nous avons appris la mort d'une famille de dix personnes...

Jean d'ORMESSON
Extrait de sa chronique « Beyrouth est encore vivante » (Figaro Magazine du 27 mai 1989)

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C'est l'histoire d'une chanson pas comme les autres

Elle est née le 13 mai 1989 sous les bombes, au cœur du massacre d'un peuple qui se lève pour sa liberté.

Dans le fracas et le tourbillon de la mort, un homme mystérieux, venu de loin. Son énergie chaleureuse, émue, joyeuse fait des miracles. Il crée la vie, l'espérance et surtout le courage de continuer. Des enfants l'entourent. lis suivent ses paroles tout doucement sans connaître le vers suivant. Leurs regards blessés, salis par la guerre sont à nouveau purs, innocents. Ils admirent l'homme qui, avec pour seule arme une guitare, réussit le tour de force de chanter Place des Martyrs puis dans la banlieue d'enfer de Dora.

D'autres, les anciens, ont les yeux embués de larmes mais leurs bouches sourient. Le soir même, Beyrouth tout entier fredonne ses mots simples et vrais. À minuit, une centaine de jeunes Libanais, qui se surnomment aussitôt, avec humour et vérité, « Les Fans du Liban libre », l'accueillent... mais Guy doit repartir. Ses travaux, ses chats, ses arbres, ses enfants, sa vie de tous les jours l'attendent. Sa chanson il l'a semée dans nos coeurs, parmi les herbes sauvages de la Place des Martyrs. Elle se répand comme une traînée de poudre au Liban, et au delà... Déjà quelques coups de téléphone pleuvent à Paris : « La chanson de Guy Béart a porté chance au Liban »

En France, la 5 diffuse quelques images que ses reporters ont saisies au vol à Beyrouth. D'autres chaînes de télévision, de radio, diffusent aussi des extraits de la télévision libanaise et la cassette enregistrée à Dora sur un matériel de fortune. Alors, la chanson commence à se répandre en France, de façon humaine, artisanale. Le 23 mai, lors de la manifestation de paix devant la Ligue Arabe, la foule reprend les refrains, en chœur. La même émotion populaire recommence le 15 juin à l'Unesco (avec de jeunes chanteuses et chanteurs venus exprès du Liban... dont Alecoo Habib), le 27 juin à Boulogne...

Une deuxième fois, à Paris mais toujours de façon authentique, vraie, naturelle, avec des enfants libanais et franco-libanais de toutes les communautés, Guy enregistre sous le cèdre de son jardin, puis en studio, la chanson qui représente la communion pour la paix de tous les Enfants Libres du monde.
Merci, Guy, d'être parmi nous, avec nous et, par le charme, la vérité de ta mélodie, de tes mots, de ton regard, de nous donner, encore et toujours, la force de rester joyeux malgré tout et de survivre.

Roya GHOSSEIN (Association Loubnane des Jeunes pour le Liban)

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Voici comment dans Beyrouth martyr
Guy Béart a crée sa plus belle chanson d’espérance


Guy Béart vient de vivre à Beyrouth une formidable aventure artistique et humaine, au bout de laquelle est née une chanson « Liban libre » qu'il interprète avec des enfants libanais.

- J'étais un des plus touchés, raconte Guy Béart, car j'ai passé plusieurs années de ma jeunesse au Liban, et ceux qui ont lu, mon livre « L’espérance folle » se souviennent qu'il commence par la mort de mon père à Beyrouth. C'est, enfant, pendant les années de guerre que j'ai appris, au Liban, la fraternité, la tolérance entre les communautés différentes, entre les religions différentes. Ma personnalité s'est nourrie des mariages entre les cultures orientales et occidentales. J'éprouve un véritable amour pour ce pays.
Il y avait un autre but pour moi à ce voyage: retrouver la tombe de mon père, ce que je n'ai d'ailleurs pas eu le temps de faire, et aller à l'Hôtel Dieu de Beyrouth où ma mère fut soignée et guérie en 1942. Elle devait mourir douze ans plus tard... à l'Hôtel Dieu de Paris.

- Mais vous n'aviez pas l'intention d'aller enregistrer une chanson ?

- C'est le destin qui l'a voulu. Me retrouvant pour la première fois au pays de mon enfance, j'ai voulu créer un chant d'espérance. Mais pas n'importe où, sur la place des Martyrs, la place des Canons.

- Comment sont intervenus les enfants libanais dans voire chanson?

- En revenant de la Place des Martyrs, f ai rencontré un copain d'enfance. Son père vendait des instruments de musique quand il avait 7 ans et moi 12. Il s'occupait toujours de musique. Il m'a aidé à rassembler des enfants et adolescents libanais dans le quartier de Dora, dévasté, annihilé, mais moins dangereux aujourd'hui que la Place des Canons; il ressemble
à une apocalypse de science-fiction avec ses immeubles
en ruines, ses pipe-line calcinés, tordus. Alecco Habib, chanteur et musicien libanais m'a prêté sa guitare. Et Jacques Lussan, kiné, poète et chanteur qui m'avait fait l'amitié de venir m'assister dans. cette aventure, a effectué, sur ma vieille radiocassette, l'enregistrement de cette chorale improvisée.

- Cette chanson « Liban libre » résume ce que le Liban symbolise pour vous et pour le monde entier.

- Moi, la politique je n'y connais rien; en diplomatie, je ne dois pas être doué puisque je veux toujours dire la vérité;
et la stratégie militaire ce n'est pas mon domaine. Ce qui m'intéresse, c'est l'espérance : le Liban sera sauvé parce qu'il est indispensable à la sauvegarde du monde entier.

Ce pays est petit par sa dimension, mais très grand par les symboles qu'il incarne. D'abord celui de la fraternité car, depuis 4000 ans, il accueille toutes les minorités persécutées. Si l'on n'arrive pas à y recréer la liberté, la paix, l'harmonie, impossible de penser à y parvenir en bien d'autres lieux, d'autres pays où il faut que les familles, les frères ennemis redeviennent amis.'

René Quinson (Continental Press)

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Avec « Liban libre », Guy Béart, change les couleurs du palais de Baabda, de Dora et de la place des Martyrs.

Dans les ruines du palais de Baabda, devant le général Aoun, sur la place des Martyrs, et au coeur du décor apocalyptique de Dora, un arc-en-ciel a brillé lorsqu'un troubadour-poète a chanté au son de sa guitare. Avec sa sensibilité, il a créé une chanson par laquelle il partage nos souffrances et exprime nos espoirs de liberté... Son cœur bat à un rythme nouveau, car il vient tout juste de recevoir son passeport libanais. - Vous avez longtemps vécu au Liban. Quel effet cela vous fait-il d’être Libanais maintenant?

- J'ai vécu ici mes années d'adolescence, et ce sont des années qui comptent dans la formation du corps, du coeur, de l'âme. C'est un pays de Dieu où j'ai appris l'hospitalité: plus lard, quand j'ai créé l'émission « Bienvenue », c'était, à l'image du Liban, l'hospitalité pour les artistes et inconnus de tous bords, toutes couleurs et tous genres. J'ai appris au Liban la fraternité et la tolérance, et j'ai souvent été critiqué en France d'être sans cesse ouvert, d'être par exemple à la fois de gauche et de droite, de rejeter tout ce qui crée des combats inutiles, fratricides, entre les gens. Et je sais que le Liban, depuis des millénaires, a été un abri pour les persécutés du monde entier.

Pourquoi êtes-vous revenu ici?

Je suis venu retrouver l'espérance au Liban, pour moi et pour le monde. Car vous avez une sacrée responsabilité. Vous sauvez, nous sauvons, et tout le monde doit sauver le Liban, dans son modèle millénaire d'harmonie combative; combative comme toute vie, tout amour, toute passion; et qui dure depuis des milliers d'années. Si ce modèle, à Dieu ne plaise, est détruit et il ne sera pas détruit- c'est que le monde ne pourra pas dire sauvé.
Il faut que nous tous, maintenant, essayions, de nous comporter comme si nous étions, pendant quelques minutes, quelques secondes, le Messie, parce que la planète tout entière est en danger. Il n'y a pas que le Liban. Mais il faut que le Liban soit sauvé pour que la planète le soit.

Marie-Jeanne ASMAR
(Extrait de son article dans La Revue du Liban : interview à Dora la 13 mai, à l’Hôtel Alexandre à Beyrouth le 14 mai 1989)

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Photos recto Bernard Sidler
Photos verso Temporel

La chanson
Paroles et Musique de Guy Béart - 1989

 


Version en direct
(fichier mp3 de 5Mo)
Version studio
(fichier mp3 de 5 Mo)
 
 
 

Liban libre
Libre Liban
Enfants libres
Libres enfants

Et tous les martyrs
Chrétiens, Musulmans
Avant de partir
Ont crié ce chant

Liban libre
Libre Liban
Enfants libres
Libres enfants

Toi qui nous montras
Tant d'humanité
Qui ouvris les bras
Aux déshérités
Liban libre
Libre Liban

Si ton rivage fraternel
À Dieu ne plaise, allait mourir
Je ne crois pas que l'arc-en-ciel
Sur Terre pourra revenir

Pour qu'un beau jour le monde entier
Ne vive pas dans la terreur
Je ne dois jamais oublier
Le petit Liban au grand cœur

Qui offrit l'hospitalité
À tous les peuples poursuivis
De l'eau vive aux persécutés
De la vie

Liban libre
Libre Liban
Enfants libres
Libres enfants

Libre sur la mer
Libre sur les routes
Dans les cœurs ouverts
Et libre à Beyrouth
Liban libre
Libre Liban

Ah ya Loubnane
Ya salame, ya zamane


Liban libre
Libre Liban
Enfants libres
Libres enfants

Tes montagnes pures
On les a salies
Avec les blessures
De l'argent folie
Liban libre
Libre Liban

Avec la drogue, avec les armes
Au lieu des fruits de tes vallées
On fait de l'or, on fait des larmes
On fait du sang avec du lait

On s'est même payé la corde
La corde pour être pendu
Payé pour la miséricorde
Et payé pour être vendu

Payé pour devenir esclave
Payé pour être massacré
Payé pour vivre dans les caves
Enterré

 

Liban libre
Libre Liban
Ton chant vibre
Vibre ton chant

Vibre dans nos cœurs
Vibre dans nos corps
Pour que le bonheur
Nous survive encore
Liban libre
Libre Liban

Ah ya Loubnane
Ya salame, ya zamane
Ah ya Loubnane
Ya salame, ya zamane

Que tous tes enfants
Avec l'harmonie
Du ciel et du temps
Retrouvent leur nid
Liban libre
Libre Liban

Levons le vert de l'espérance
Le vert du Cèdre du Liban
Le blanc du lait de la naissance
Le rouge du sang des vivants

Levons le vert de l'espérance
Ensemble partout mieux qu'avant
Réunis pour la renaissance
Du monde en paix pour les enfants

Liban libre
Libre Liban

Ah ya Loubnane
Ya salame, ya zamane
Ah ya Loubnane
Ya salame ya zamane

 

 
Nota : Ah ya loubnane, ya salame, ya zamane signifie : Ah ô Liban, ô paix, ô temps passé.

 

 

L'affaire « Liban libre »

Cette chanson a posé quelques souci à Guy Béart et a due lui inspirer la chanson « Le bienfait perdu !». Je n'ai retrouvé que les deux informations ci-dessous et ne sait pas comment s'est terminée cette affaire. Si quelqu'un a des informations...

Guy Béart poursuivi pour plagiat - Le Monde du 20 septembre 1989
À la suite d'une accusation de plagiat déposée par le compositeur Guy Boyer, la chanson de Guy Béart Liban libre a été saisie vendredi 15 septembre sur ordre du tribunal de grande instance de Paris. Guy Boyer reproche à Guy Béart d'avoir copié un thème de sa composition intitulée Jérusalem Stones déposé en 1978. Cet air avait à l'époque servi de générique à l'émission La course autour du monde. Guy Béart estime que l'on « jette le discrédit sur sa chanson ». La SACEM, qui enregistre annuellement 70 000 titres, dénombre 200 différends de ce type chaque année. Une demi-douzaine de cas seulement sont soumis aux tribunaux. Les autres sont réglés sous les auspices de la SACEM.

Suite de « l’affaire » - Le Monde du 24 octobre 1989
Guy Béart a déposé plainte contre le parolier Pierre Delanoë (également président de la SACEM) et le compositeur Cyrille Assous pour contrefaçon, et a fait procéder à la saisie de leur disque Liban, interprété par un collectif de chanteurs. Il accuse les deux hommes d'avoir plagié sa chanson Liban libre, créée en mai dernier à Beyrouth.
La chanson de Guy Béart est au centre d'un imbroglio judiciaire, Guy Boyer a en effet porté plainte contre le chanteur pour plagiat, estimant qu'il s'était fortement inspiré d'une de ses compositions, Jerusalem Stones, composée en 1978.