Futur - Fiction - Fantastique

 

Avec ce disque, Guy Béart est l'auteur du premier album de chansons de science-fiction au monde. Certes, des compositions au synthétiseur ont prétendu à ce titre, mais la science-fiction est littérature ou images et non musique. D'autres que moi parleront de l'exceptionnelle qualité de l'œuvre de Guy Béart, qu'il me suffise de dire qu'elle se situe au plus haut niveau de la science-fiction moderne.

Jacques SADOUL

 

LE PREMIER ALBUM AU MONDE DE CHANSONS DE SCIENCE-FICTION

Vingt ans après ses débuts que l'on qualifiait de sang neuf de la chanson, Guy Béart apporte à nouveau un renouvellement à la chanson française et un des rares disques européens en avance sur leur temps.
Les quelques trois cents cahiers d'écolier ou Guy note ses thèmes, ses vers, nous montrent parfois des voisinages étonnants : Le Terrien à côté de l'Eau Vive, le Voyageur de rayons à côté de La Vérité, Il n'y a plus d'après à côté d'Années-lumière et tant de chansons de Science-Fiction restées inconnues.

Déjà en 1957, on peut voir qu'il préparait sa première séance d'enregistrement (dirigée par Boris Vian) où il chantait Temporel, Qu'on est bien, Chandernagor et il écrivait les Temps Étranges (fin du monde) !!
Des chansons inédites comme L'avenir c'était plus beau hier, et d'autres restées dans l'ombre comme Étoiles, gardes-à-vous chantée en 1967 par Guy Béart : chanson écrite en 1960 à l'Île du Levant, après un petit drame en mer et la traversée nocturne de la base interdite des fusées de l'île. Une chanson très connue Les enfants sur la Lune.

Le climat musical, envoûtant, est préservé grâce à des transitions qui font que ce disque est un voyage d'une heure. C'est Roland Romanelli, l'ami de Guy Béart qui a joué de tous les instruments après une préparation dans la maison Science-Fiction de Guy Béart (escalier de verre, objets électroniques, arbres... et douzes chats)

Guy Béart a tenu pour une fois à ne pas jouer de guitare pour être emporté par la musique dans un climat différent, ce qui fait qu'on retrouve un Béart profondément fidèle à lui-même mais comme on ne l'a jamais entendu.
Guy Béart nous réserve de temps en temps des surprises de taille qui tranchent sur la production courante et sont bien dans sa manière de précurseur: voici un disque étonnant et, dans le sens total du terme, peut être le plus nouveau de l'année.


Les dieux disposent du destin des hommes pour écouter leur chant.
Homère

 

UN VOYAGE DANS L'ESPACE-TEMPS

D'abord le choc ! un choc Inouï, semblable peut-être à celui du Terrien brusquement jeté dans l'espace. Puis le dépaysement total, l'enchantement d'un voyage dans l'espace-temps, le corps libéré de toute pesanteur, baigné par la flamme étrangère des étoiles, un voyage frémissant d'émotion l'envoûtemont d'une sorte de promenade sidérale.
Voici ce que nous avons ramenti à la première écoute de la bande originale FFF.
Puis avec la retour du silence, et, après la deuxième écoute le retentissement et le temps des questions.

Un nouveau Béart ? Un Béart différent ou bien pareil à lui-même, mals comme on ne l'a encore jamais entendu.
Peut-être le Béart de toujours. Est-il là où on ne l'attend jamais sans cesse déconcertant comme à ces débuts ? Présent dans notre passé, il est aussi pas dans l'avenir.

Depuis le temps déjà ancien que, l'un et l'autre, nous nous intéressons à la science-fiction, aucun musicien ni aucun chanteur n'avait eu l'idée, le talent (ou le courage ?), de dédier tout un album à ce genre par tradition réservé à l'écriture, au dessin ou au cinéma. Pourtant, dés 1975, au fil de nos Clefs pour la science-fiction (Éditions Seghers, collection Clefs pour...), nous faisions allusion au seul artiste qui, depuis ses débuts en 1957, composait régulièrement des chansons de science-fiction demeurées, de façon énigmatique, dans l'ombre de ses grands succès populaires ; qui peut dire aujourd'hui – en dehors du petit monde des spécialistes – que Les Temps étranges (texte prophétique en ce qu'il annonce la crise écologique du monde actuel) a été écrit il y a presque 20 ans, en 1957 ? Cette chanson de Guy Béart prend place aujourd'hui (aux côtés de compositions plus connues comme Les Enfants sur la Lune) dans ce recueil aux trois « F » : Futur, Fiction, Fantastique. Un disque qui, sans nul doute, ouvre une ère nouvelle dans l'histoire déjà longue de la science-fiction.

Mais au fait : qui est Guy Béart ? Un être venu d'ailleurs ? un mutant ? un homme de demain? Telle est la question posée par ces 11 chansons F.F.F. car à leur écoute, nous sommes – à la lettre – pris dans le temps absolu des visionnaires, grand temps rêveur d'Histoire où hier, aujourd'hui et demain, sont indistinctement mêIès. Sans doute l'auteur du Voyageur de rayons aurait-il pu ajouter à la fin de sa chanson : « Le temps est ma destination » ; car il est sûr que la temps de Guy Béart n'est pas tout à fait le nôtre : dans ce temps absolu où il vit (un temps plus souple, plus patient que le temps ordinaire) il est probablement le seul à entendre cette voix possessive des années mortes ou futures qui lui dit : « L'AvenIr c'était plus beau hier »...

Or, c'est bien ce Temps Béart qui communique une force et une atmosphère toujours particulière à ses œuvres ; Les Temps étranges a été composée à un moment où il voyait une autre image du monde naître et se préciser comme à regret ; de même. avec Années lumières, il réussit à réunir deux thèmes d'une puissance extrême : l'amour et le désir d'éternité... Alors est-ce un hasard si la production fondée par Guy Béart s'appelle Temporel et l'édition Espace, et ces deux termes de science-fiction ne renvoierit-ils pas à la préoccupation fondamentale et à l'identité même de leur auteur ?

Car pour Guy Béart, la science-fiction est bien davantage qu'un simple épisode de dIvertissement : il ne s'est pas contenté d'en lire depuis toujours, il est la science-fiction, le lieu même d'une rencontre (prétendue impossible) entre la science et la fiction. De la science, reste en lui le savoir de l'ingénieur, l'amour un peu inquiet des machines, une démarche parfois totalement rationnelle ; de la fiction, Il reçoit la poésie incorporelle, la mélodie rêvante, le sens de l'excès, du vertige et de l'irrationnel. De là, on comprendra mieux le sens de ce disque étrange, comme venu d'ailleurs pour venir toucher, à la façon des atomes épicuriens quelque Histoire promise. Par sa musique planante, obsédante, par un climat permanent, onirique, ce disque est à lui seul un voyage dans l'espace-temps. Tout ce recueil fait de Guy Béart un développeur de rayonnement qui, semblable en cela à tous les faiseurs d'univers, réussit à fabriquer un monde et à glisser à voix haute la science-fiction jusque dans notre oreille : avec ses onze chansons, c'est presque toute la science-fiction contemporaine qu'il nous donne à écouter pour la première fois.

Fiction des espaces : dans Étolles garde-à-vous, nous retrouvons toute une tradition du space-opera où l'espace devient un lieu tragique, saisi entre la guerre absurde que se livrent les rois des étoiles et la brûlante nostalgie des origines: Quand retournerai-je à Canaan chez nous.

Fiction des temps : Il n'y a plus de temps, ni d'heure , nous dit le Terrien, tenant dans une perception déchirante le Temps ancien dont il est dépossédé et le Temps nouveau qui lui est assigné. C'est peut-être pour cela que, 20 ans après le Terrien Guy Béart a choisi, comme tous les auteurs de science-fiction, de nous inviter avec sa dernière chanson, L'avenir c'était plus beau hier, à voyager d'après-demain vers avant-hier : Sur la Machine du temps. je vais remonter souvent.

Fiction de l'Être : l'Homme de Béart, cet homme dont la silhouette se précise au fil de ces onze chansons, est en proie à un malaise d'identité : Qui me pousse à toutes ces courses, quand l'herbe est si douce ?, s'interroge le voyageur de rayons : question simple et douloureuse où se reconnait le Sujet Moderne, à la fois émancipé et divisé, fabriqué et détruit par la modernité. Mais pour Béart, l'apocalypse et les grands chambardements sont toujours proches de l'Espérance Folle.

Fictions, Futurs, Fantastlque : ce disque a été, après une nuit blanche, terminé au matin d'un jour splendide : certitude traversée des rayons calmes du soleil étranger où la science-fiction est, pour la première fois, bien au-delà d'elle-même : à mi-chemin entre les mots et leur double de chair (la voix), cette science-fiction, inconnue jusqu'ici, s'impose dans l'équilibre subtil des trois F, comme un nouvel art.

Fidèle à la mémoire des dieux des voyages et de la Bienvenue, Guy Béart nous offre ici l'hospitalité dans le Futur, la Fiction et le Fantastique, nous amenant par là à comprendre, selon la belle formule de Bachelard, que le Temps est le seul vrai voyage pour le rêveur profond.

Igor et Grichka BOGDANOFF