Le beau n'a pas d'âge. C'est ce que BÉART ici nous prouve d'évidence. Ces CHANSONS GAIES DES BELLES ANNEES, nous avons beau les connaître, voilà qu'elles nous arrivent, sans doute parce qu'enfin mises ensemble (et si amoureusement époussetées!) dans un réjouissant, chaleureux, fraternel, très pimpant parfum de neuf. La plupart ont comme un air de parler de maintenant, plusieurs d'être écrites d'hier, et deux ou trois d'aujourd'hui.

Bien mystérieuses sont ces correspondances de sensibilité d'âge en âge, de fin de siècle enfin de siècle.On ne peut que constater. Mais combien, écoutant BÉART, ne se sent-on pas le cœur à l'aise, particulièrement à l'aise aujourd'hui, de traverser MON PARIS, EN REVENANT DE LA REVUE, CAROLINE à son bras, et de penser, sournois, JE CONNAIS UNE BLONDE dont je ne vous dis que çà ! On croit les connaître toutes et on les redécouvre, et CAROLINE, tenez, j'avais oublié le plus beau de CAROLINE : la fin, la si malicieuse chute. Si bien trouvée, voyez vous-même !

Une, en tout cas, LE PORTE-BONHEUR *, sûr et certain que pas grand monde peut se vanter de la connaître, et là merci Monsieur BÉART Merci à l'historien – que dis-je ? au paléontologue ! C'est qu'elle revient de loin, cette chanson-là ! Son père la fredonnait, lequel la tenait de son propre père, lequel l'avait entendue peu avant 1900, récitée, au CLUB des HYDROPATHES puis au CHAT NOIR. Pendant trois ans Guy l'a cherchée pour, d'indice en indice, la retrouver enfin au fond d'un des plus obscurs fonds de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, mais le texte seul, pas la musique.

Il y a mis la sienne, quitte à modifier un peu les paroles. On ne l'en blâmera pas : l'esprit reste. Puis songez qu'en leur temps ces paroles (dues à un certain Victor Félicien PARIS, un jeune médecin qui n'en était pas à son coup d'essai), étaient déjà d'actualité comme elles le demeurent en tout temps.
Il est vrai que la France rayonnante, flambeau de l'Univers, sortait alors de jolis scandales, le WILSON, le PANAMA, qu'on se battait au seul nom de Dreyfus. Seulement sait-on jamais bien de quoi l'on sort et vers quoi l'on va ? Vaste question ! Mais la réponse que propose BÉART après son cher Victor, toute péremptoire qu'elle paraît, n'en demeure pas moins d'une grande force et d'une philosophie très actuelles. Elle nous donne en tout cas l'énergie de la gaieté. Peut-être parce que, comme l'un et l'autre le dit :
LE COQ FRANÇAIS NE CHANTE BIEN QUE LES PIEDS DANS LA MARE.

Georges CONCHON

 

Une chanson, ça se chante un moment. Ça vit dans une bouche. Les années passent, la schématisent, l'immortalisent quelquefois, toujours l'effacent. La mémoire n'en garde qu'une bribe, un son vague, un arpège trompeur. Une chanson, ça s'oublie... et ça recommence.
À écouter aujourd'hui Guy BÉART chanter VIENS POUPOULE et LA VALSE BRUNE (celle-ci lentement inquiétante, comme le mystère de la nuit), on entend des chansons NOUVELLES. Tout s'éclaire, tout parle. Apparaissent des phrases que nous ne savions pas, donc qui n'existaient pas. Ce sont des chansons d'aujourd'hui. La beauté, la force, l'humour VOLONTAIRE (EN REVENANT D'LA REVUE) des textes jaillissent en pleine lumière. Naïves ? Oui Retorses ? Oui. Stupides ? Oui. Profondes ? Oui. Entrain, perfidie, nostalgie – et tout nous conduit vers l'amour. Obsession de la cheville et de la dentelle. Amour gai, chair encore optimiste. Dans une chanson, tout un monde, toute une époque. La belle époque, la bête époque? Rien de tout cela. Une époque riche et forte, contrastée, emportée par le vent du progrès, qui n'a pas lé temps de penser gris et qui chante comme elle vit.

Miracle de l'interprétation : il suffit d'une voix connue, d'un arrangement nouveau, hors de tout folklore, pour que nous soient révélés le sens caché, l'allusion noire et l'ironie la plus subtile, celle qui se cache sous le frivole. Notre mémoire nous trompait, comme d'habitude. Guy BÉART lessive nos idées toutes faites. Il métamorphose nos souvenirs. Il invente du bout des lèvres.
il a même retrouvé (au Fonds DOUCET) le texte de LA CHANSON PHILOSOPHIQUE, dite PORTE-BONHEUR de Victor-Félicien PARIS (pseudonyme probable), parue dans un supplément du CHAT NOIR. Elle m'avait échappé lorsque je compilais l'HUMOUR 1900, voici vingt ans. Guy BÉART a remodelé les couplets et créé une musique. Reste le refrain, inoubliable, vrai pour tous les temps et pour tous les lieux . À connàitre par cœur-et à reprendre en chœur.

Jean-Claude CARRIÈRE

 

Ce sont les chansons de mon père. Je les connais depuis l'âge de quatre ans. Elles nous menaient en gaieté en famille tous les samedis soir.

Guy BÉART

 

* En fait, la chanson Porte-Bonheur est de Guy Béart ; il le révèle dans son livre L'espérance folle. Guy Béart a inventé un mystérieux auteur pour ne pas que cette chanson soi interdite de diffusion.