La vie
- N°
1955 - 25 février 1983
L'espérance
folle
de Guy Béart
« C'est l'espérance
folle qui nous console de tomber du nid ... » Chante-t-il depuis des années.
Aujourd'hui, il ajoute : « Plus je chante, plus je deviens gai. »
Qu'est-ce qui le rend si joyeux ? Les hommes, dit-il. Pas les grands, les petits,
les sans grade qui, seuls, changeront le monde.
Je connais une blonde, La
valse brune, En revenant d'la revue, on connaissait tout cela par
cur. Après les vieilles chansons de France qui ont obtenu, il y
a quelques années, un succès hors de toutes prévisions,
Guy Béart, qui n'est pourtant jamais en panne d'inspiration, «
remet ça » avec Les chansons gaies des années folles.
Un filon, une mode rétro à laquelle il sacrifie à son tour
? Pas du tout. Un signe que l'auteur de L'espérance folle et Les
couleurs du temps nous fait aujourd'hui de la voix.
Au départ, il y a un projet ambitieux : un film, un vrai, sur ce que
l'on a appelé « La belle époque ». L'aube du XXe,
siècle, plein d'enthousiasme sur ses découvertes et l'espoir d'un
bonheur généralisé.
« Je me suis passionné pour cette époque, dit-il.
Tout, à mon avis, a été découvert à ce
moment-là. L'électricité a remplacé la lampe à
pétrole, on est passé de la traction manuelle à la machine
à vapeur, à la locomotive, de la diligence, à l'avion,
de la peinture à la photo.
« Le repos hebdomadaire a été
officialisé en janvier 1906 : on s'est mis à aimer le dimanche.
C'est d'ailleurs le thème de cette chanson intitulée Caroline
: Voilà huit heures qui sonnent, c'est dimanche mon coco. Jai touché
ma quinzaine, si tu le veux tantôt, nous irons à Vincennes, dîner
au bord de l'eau. Il n'y avait pas cette tristesse des samedis d'aujourd'hui
qui lorgnent les dimanches de travers, avant d'attendre la fatalité du
lundi.
« Les gens croyaient que le bonheur s'en venait enfin. On croyait à
la paix et la première conférence internationale s'est tenue à
La Haye en 1898. C'était une grande époque. Les gens voyaient
tout de suite l'application pratique, dans leur vie, des inventions : l'avion
atterrissait dans leurs champs, le téléphone les faisait communiquer,
ils se parlaient à distance ! Les grandes inventions d'aujourd'hui, l'informatique
et la biogénétique, dépassent l'être humain : on
ne sait pas où cela va nous mener, et cela fait peur.
D'où l'intérêt
de l'exploration de ces années-là. Depuis 1975, Guy Béart,
travaille sur ce projet de film : « Les belles années ».
Une documentation énorme, une découverte consistante d'articles,
de journaux, de livres, de partitions, de photos... Il alerte les milieux du
cinéma et de la télévision, désire faire le film
pour les deux à la fois. « Pionnier en ce domaine, j'étais
naïf, raconte-t-il, songeur. Le contrat n'a été signé
qu'en juin 1982, le film sera tourné en 1984.
Mais pourquoi la parution du disque dès aujourd'hui ? Un jour à RTL, explique Guy Béart, je chante avec le public et lui propose des titres de chansons anciennes, celles que me chantait mon père : Viens poupoule, Mon Paris. Tout le monde les reprend en chur ! Pourquoi ? Parce qu'elles sont gaies, tout simplement. Et actuelles, justement. Elles sont sublimes et nous concernant toujours.
Guy Béart feuillette alors des
albums entiers de vieux couplets. Il y découvre une santé, un
humour, une audace que nous avons perdus aujourd'hui. L'impertinence de En
revenant d'la revue créé par Paulus, reçu par le général
Boulanger, a de quoi faire réfléchir.
Les gens étaient gais, parce qu'ils avaient en eux une véritable
espérance. Leur confort était pourtant encore bien modeste ! Aujourd'hui,
nous avons tous les conforts, mais nous avons perdu l'espérance !
Ils ne manquent pas, ceux qui sourient de cet ingénieur-philosophe qui,
un jour de 1954, pour agrémenter sa vie d'étudiant des Ponts-et-Chaussées,
pousse la porte de La Colombe, un cabaret de l'île de la Cité,
et propose à Michel Valette, le maître des lieux et grand amateur
de poésie, quelques refrains de sa composition : Qu'on est bien,
Il y a plus d'un an, et Chandernagor.
Saltimbanque hors du commun, ce gultariste
à la voix pâle, au fil des ans, se révèle fécond
et populaire, surtout après le succès de L'eau vive et
prend place, parmi les grands artisans du renouveau de la chanson, aux côtés
de Brassens, Trenet, Brel, Leclerc et Ferré.
Sceptique, ce scientifique en appelle à l'imagination quand se bloquent
les rouages mathématiques. Et s'interroge : Qui suis-je ? Questionne
ceux qui l'entourent, parfois gravement. Celui qui a dit la vérité,
il doit être exécuté, tout en souriant de la vertu des
grands principes et des grands sentiments.
C'est encore lui qui, en 1970, devant la nullité des variétés du petit écran, crée Bienvenue, un rendez-vous mensuel où la chaleur, le talent, l'émotion et l'humour se donnent la main, simplement. On y croise des grands et des humbles. Les têtes d'affiche fraternisent avec les débutants : Duke, Ellington, Aragon, le couple Barrault-Renaud, mais aussi Yves Simon, Maxime Le Forestier qui sont encore inconnus du public. Une formule largement imitée depuis (belle intuition) et qu'il a reprise fin 1981 pour une émission spéciale de Noël sur le thème du Messie. Avec, on s'en souvient, un invité, Lech Walesa.
Si
l'homme peut détruire, Il peut aussi créer
Le Messie, voici un thème cher
à Guy Béart. La terre entière est le Messie, mais si
! a-til enregistré il y a quelques années. Il s'en explique
: Nous allons vers des temps très durs, ce n'est un secret pour personne.
Matériellement parlant, sans doute, allons-nous subir des coups inattendus.
Mais je crois que dans le même temps, nous allons nous réveiller.
Spirituellement, nous irons tous beaucoup mieux, car il nous faudra comprendre
que nous sommes les seuls à pouvoir nous sauver. Collectivement, ou pas
du tout.
Depuis le début des années soixante, nous connaissons l'expansion. Et nous dormons dans une ambiance de production et de consommation ; avec de l'argent, on s'imaginait pouvoir tout faire : erreur. La machine n'a pas libéré l'homme, elle l'a rendu toujours plus dépendant des systèmes politiques et économiques. Quand une usine est vendue dans le tiers monde par les États-Unis ou l'URSS, ce pays en devient ensuite dépendant pour ce qui est du fonctionnement de cette usine. Les années qui viennent vont donc être de plus en plus difficiles : nous allons devoir changer nos habitudes. Il est indispensable que nous conservions la santé et notre flamme intérieure.
Il sourit : Plus je chante et plus
je deviens gai. Pas pour dire aux gens que tout va très bien, qu'on est
tous frères et que le monde est beau : je n'y crois pas et, sincèrement,
je n'en suis pas capable. Mais pour leur dire que si nous vivons des
temps pénibles, c'est en eux que se trouve la solution, s'ils le veulent.
Car si l'homme est capable de détruire, il peut aussi créer.
D'où l'espérance, folle d'abord, puis, aujourd'hui, plus résolue, plus déterminée. Il y a bien une solidarité, de fait, obligatoire, entre les hommes, tous passagers sur le même vaisseau planétaire. Mais Guy Béart n'aime pas le mot : il a été trop malmené de droite à gauche, ces derniers temps. Et puis cela veut dire quoi « être solidaire » de son voisin ? Cela signifie que l'on marche avec lui parce que nos intérêts se trouvent dans cette marche commune. Il faudra bien dépasser la solidarité et en venir à la fraternité
Finis les hommes providentiels
derrière lesquels on défile vers des certitudes. Quelques-uns,
cela ne suffit plus à sauver la planète. Tout le monde doit s'y
mettre. Le modèle, nous l'avons : c'est Jésus. Son message d'espérance,
il faut que nous soyons de plus en plus nombreux à le porter et à
le vivre. Encore faut-il que nous voulions devenir des messies par milliers
!
Je crois, dit-il encore, que François de Closets a raison (Toujours
plus - Grasset) quand il dit que désormais, pour que le
monde marche cela ne dépend plus de la volonté de quelques puissants,
mais du nombre des petits et des humbles. C'est une victoire ! C'est vrai que
l'économie, la démographie dépendent beaucoup de la volonté
du plus grand nombre : encore faudrait-il que tous ces gens sachent qu'ils détiennent
le pouvoir mental de l'univers et qu'ils ne se leurrent pas dans la recherche
de nouvelles formes de consommation ou de nouveaux privilèges !.
Les loups se réveillent plus vite que les agneaux. Guy Béart a
pris le parti des agneaux. Depuis des années, son propos est le même
quand il évoque le Grand Chambardement, les bouleversements galactiques
ou les chahuts-bahuts soixante-huitards. C'est lui qui chantait cette rengaine
qui eut son heure de gloire : Ce n'est pas parce que l'autome et l'hiver
viendront qu'il faut arrêter le printemps. Lui qui décrit les
collines d'acier, fustige la bureaucratie en affichant sur son propre mur
: Chaque individu est devenu une administration. La vie va semble-t-il
soupirer nostalgique, sans illusion, mais il se ressaisit aussitôt : le
miracle vient de partout.
Tout peut
toujours s'arranger...
Apôtre de la tolérance
et de l'harmonie du monde, chantre de la fraternité et du partage, Guy
Béart a su convaincre par la simplicité. J'ai des idées
simples au fond, avoue ce matheux-poète qui a fait cent fois le tour
des rimes et des logarythmes. Ses vers se retiennent, ses mélodies se
sifflent partout. En profondeur, on découvre un homme préoccupé
par les temps étranges que nous vivons, cette époque ambiguë
où le bonheur n'a jamais été aussi accessible mais où
l'apocalypse tente de plus en plus les apprentis-sorciers. Est-ce ce duel permanent
qui, depuis quelques temps, lui à fait tourner les yeux vers antan ?
L'avenir, c'était plus beau hier chantait-il récemment.
Il s'est donc pris au mot. Et dans l'immense répertoire de la Belle Époque,
dans ce que une intelligentsia actuelle s'est mis à trouver stupide,
dans ces milliers de couplets laissés par des auteurs souvent retournés
à leur anonymat, Guy Béart a déniché cette gaieté
qui nous fait si cruellement défaut aujourd'hui. Écoutez bien
Mon Paris ou Quand les lilas refleuriront ou ,même ce Porte-Bonheur
où je me suis fait violence pour prononcer dix-huit fois le mot de
Cambronne ! dit-il. En dehors de toute l'ambiance de l'époque, chaque
mot a sa place pour affirmer que la vie a toujours le dessus, et que tout peut
toujours s'arranger.
« Depuis que le monde est monde
C'est la même chanson
Des mélasses profondes
Toujours nous sortirons »
François-Régis BARBRY